Le cancer est un sujet d’actualité dont on entend parler presque quotidiennement et un sujet de préoccupation pour un grand nombre de personnes. On estime qu’il y aura 269 300 nouveaux cas de cancer et 75 500 décès causés par cette maladie au Canada en 2013.(1)
Cependant, du point de vue thérapeutique, il est préférable de concevoir le cancer non pas comme une maladie, mais comme une famille de maladies. Bien qu’ayant certaines caractéristiques communes, chaque type de cancer est différent, avec des manifestations qui lui sont propres et des traitements particuliers. Parler du cancer revient à parler d’un groupe de maladies très différentes et ne saurait être fait avec précision et exactitude sans se pencher sur chaque type de cancer particulier.
Dans ce court article, j’entends aborder le sujet du cancer en médecine chinoise d’abord en dressant une image du concept de cancer selon la médecine chinoise, puis en étudiant le cas spécifique du cancer colo-rectal.
Du point de vue de la médecine occidentale moderne, la majorité des cas de cancer est due à une altération de l’ADN qui affecte les mécanismes de contrôle de la croissance, maturation et mort des cellules. Ces changements sont plus susceptibles de se produire chez des personnes ayant un certain bagage génétique et dans le cas de certaines infections virales. La cause principale est souvent l’exposition aux produits cancérigènes, en conjonction avec la défaillance du système immunitaire qui ne réussi pas à éliminer les cellules cancéreuses à leurs stades précoces de développement.
La médecine moderne classifie les cancers selon le type de cellules impliquées. En médecine chinoise, les cancers sont classés selon la symptomatologie présente. Commune à de nombreux cancers, la tumeur (liu – 瘤) a été observée et classifiée dès la dynastie Shang (16e au 11e siècles avant notre ère).
Toute tumeur découle d’une stagnation. La stagnation peut se développer à partir de différents mécanismes, notamment l’accumulation d’humidité-phlegme, des pathogènes externes auxquels la déficience des organes (Zangfu) permet de pénétrer et persister, et l’excès des émotions. Il est important de souligner que toute tumeur n’est pas cancéreuse. Le cancer (ai –癌) est une évolution de la tumeur (liu – 瘤).
Traditionnellement, le traitement en médecine chinoise utilise principalement la chirurgie et la pharmacopée, avec la prescription de changements de style de vie souvent radicaux. L’orientation thérapeutique étant principalement d’évacuer les toxines, dissoudre les accumulations, rétablir la circulation normale et promouvoir la fonction saine des organes internes.
ROLE DE L’ACUPUNCTURE : Le rôle de l’acupuncture consiste principalement en la gestion des symptômes du cancer et des traitements modernes tels la chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie. L’acupuncture joue également un rôle important dans la rémission du cancer et dans la prévention de la récurrence.
LE CANCER COLO-RECTAL : Le côlon, en médecine chinoise, est un organe Fu qui agit comme conduit pour le transfert de la nutrition venant de l’extérieur. Tout comme les Poumons, son organe associé, il est exposé et vulnérable aux influences externes. Parmi ses fonctions, on retrouve des aspects liés au système de la Rate – les fonctions de raffinement et séparation du pur et de l’impur, et de protection par le biais de la muqueuse gastro-intestinale (en conjonction avec le système Trois-Foyers).
Dans le développement du cancer colo-rectal, on peut identifier deux facteurs déterminants : l’Humidité-Chaleur et le Vent. L’Humidité-Chaleur naît d’une déficience de la fonction de transport et transformation de la Rate, pouvant provenir d’une faiblesse de celle-ci ou d’une alimentation riche en gras saturés, sucres, aliments raffinés ou autres nourritures inappropriées ou de mauvaise qualité. Le Vent intestinal (Changfeng – 肠风) fait référence à l’accumulation de chaleur toxique dans les intestins où elle se transforme en toxines. Cette dernière peut être un pathogène externe qui pénètre le corps via la nourriture et les boissons, ou se développer à l’interne suite à un déséquilibre des Zangfu. À l’instar des Poumons, le côlon produit du mucus (par le biais du tissu épithélial, qui est sous la gouvernance de la Rate et du San Jiao) et différentes formes d’accumulation de mucus en réponse aux facteurs pathogènes. Sous certaines conditions, ces accumulations peuvent évoluer en tumeur et éventuellement en cancer.
Le cancer colo-rectal origine donc d’une blessure à l’interne, soit par une dysfonction du système digestif au Foyer médian ou par un pathogène externe (Changfeng). Un environnement toxique (Zangdu – 脏毒 et/ou Changfeng – 肠风) amène la malignité de la douleur. Dans ce contexte, Du (毒) réfère à toutes les expressions de chaleur toxique, chaleur-humidité et facteurs pathogènes latents. Ces toxines peuvent donc être exogènes ou endogènes. On peut donc considérer Changfeng et Zangdu comme des éléments sous-jacents au cancer colo-rectal. Changfeng pouvant être associé au stade précoce du cancer alors que Changdu correspondrait plutôt à une manifestation ultérieure avec métastases.
LE RÔLE DE LA RATE : La Rate, qui est au centre du système digestif, peut être blessée par une alimentation inappropriée, mais également par l’excès des émotions. Une alimentation inappropriée ne se défini pas seulement par la qualité de la nourriture ingérée, mais également par le support et développement, et la constance, le rythme et la régularité. L’anorexie, la boulimie, la prise de repas de façon irrégulière ou immodérée sont particulièrement dommageables pour le Foyer Moyen. L’excès d’émotions peut provenir de problèmes émotionnelles non résolues, d’un excès de réflexion et d’inquiétudes ou d’en excès de colère refoulée amenant une attaque transverse du Bois sur la Terre. Ces excès peuvent entraîner une attaque transverse et/ou une déficience de la Rate. Avec le temps, on peut voir apparaître une déficience de Yang de la Rate et des Reins, ou encore une accumulation de chaleur dans les intestins provenant de l’accumulation d’humidité et de mucosités ou encore une déficience de Qi et de Sang qui résultent éventuellement en une stase de Qi et de Sang. L’obstruction du Qi et du Sang par le Vent, le Vent-chaleur, l’Humidité-chaleur ou les Mucosités endommage les collatéraux Yin ce qui peut entraîner le Sang à s’écouler dans les intestins. Cet écoulement de sang amène la présence de sang dans les selles qui est le principal symptômes du cancer colo-rectal.
CLASSIFICATION DES SYNDROMES : Une fois le diagnostic de cancer colorectal établi, on peut distinguer cinq tableaux pathologiques : 1. Humidité-Chaleur du Gros-Intestin 2. Accumulation de toxines 3. Vent intestinal (Vent-feu ou Changfeng) qui brûle et endommage le Gros-intestin 4. Déficience de Yang de Rate et Reins 5. Déficience de Yin des Reins et du Foie 6. Déficience de Qi et de Sang. Certains auteurs identifient également le Feu de l’Estomac et le Feu du Foie qui envahi l’Estomac.
TRAITEMENT : Considérant la nature même du cancer, il est important de le traiter avec la médecine conventionnelle. Le traitement en médecine chinoise consistera alors à traiter l’environnement global afin de supporter les traitements conventionnels et prévenir la récurrence du cancer. Les traitements devraient débuter aussitôt que possible et se poursuivre tout au long du traitement.
-Traitement post-chirurgie : Après une chirurgie abdominale, et particulièrement sur l’intestin, il est fréquent de voir un arrêt du péristaltisme. Le rétablissement de la fonction intestinale est important et l’orientation thérapeutique consistera, dans ce cas, à rectifier la circulation du Qi, nourrir le Sang, arrêter les saignements, améliorer l’appétit et réchauffer le Foyer inférieur.
-Traitement par chimiothérapie : Le type de dommages causés par la chimiothérapie s’identifie selon les symptômes présents. On retrouve particulièrement des blessures au niveau de la Rate et des Reins (production de Sang), au Qi de l’Estomac (nature froide de la médication), à l’axe Rein-Coeur ou au yin du Foie et des Reins. Le choix du traitement dépendra des tableaux pathologiques présents chez le patient.
-Traitement par la radiothérapie : La radiothérapie brûle les tissus et il en résulte des cicatrices. Les cicatrices et les adhésions sont considérées en médecine chinoise comme des stases de Sang. À plus long terme, elle peut entraîner la déficience du Yin, de Qi et de Weiqi. Dans le cas de la radiation du côlon, la diarrhée est la manifestation principale des blessures par radiation. On retrouve également des douleurs du bas-ventre, selles irrégulières, dysfonctions urinaires et dérangement du cycle menstruel. En plus du traitement des symptômes présents, des formules nourrissant le Yin s’avèrent utiles.
-Traitement en prévention/rémission : Après le traitement conventionnel, lorsqu’il y a rémission, le patient aura un suivi régulier afin de contrôles les différents marqueurs. La majorité des récurrences se produisent dans les deux années suivant la fin des traitements. Ce n’est qu’après une période de cinq ans sans maladie que la majorité des cancers sont considérés comme guéris. Bien que cette période soit extrêmement importante, la médecine occidentale n’offre pas de traitements préventifs. Le rôle de l’acupuncteur est important à ce stage. Il peut offrir des traitements en acupuncture et pharmacopée, des conseils d’hygiène de vie s’adressant aux facteurs de risque et au terrain du patient. Notamment, il faudra traiter promptement les facteurs émotionnels prédominants afin qu’ils n’entraînent pas de stagnation à plus long terme, et promouvoir la circulation du Qi et du Sang.
RÉFÉRENCES : 1. Site internet de la Société Canadienne du Cancer. www.cancer.ca. 2. Lahans, Tai, Integrating Conventional and Chinese Medicine in Cancer Care, a Clinical Guide, Elsevier, 2007. 3. Li, Peiwen, Management of Cancer with Chinese Medicine, Dominica Publishing, 2003. 4. Dharmananda, Subhuti, Oriental Perspectives on Cancer and its Treatment, www.timonline.org/arts/cancer.htm. 5. Sloan Kettering Memorial Cancer Center, Acupuncture for the Cancer Patient (notes de cours), 2012. 6. Sionneau, Philippe, Maladies et symptômes en médecine chinoise -Volume 7, Guy Trédaniel Éditeur, 2004 7. Jarrett, Lonnie, Nourishing Destiny, Spirit Path Press, 1998. ________________________________________________________________________ (1) Société canadienne du cancer (2) Le caractère liu 瘤 se compose de 留(liú), demeurer, rester, et du radical de la pathologie 疒 (3) Li Peiwen, Management of Cancer with Chinese Medicine, Donica Publishing, 2003.
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